Bruno Parmentier, photographe originaire de Normandie, cultive depuis quarante ans une pratique artistique où la technique se met au service de l’émotion brute. Son approche singulière, oscillant entre instinct et réflexion, offre un terrain d’étude fascinant pour comprendre comment l’œil humain transforme le réel en narrations visuelles. À travers son exposition actuelle, il dévoile une dialectique photographique où chaque image devient un manifeste sensoriel.

Bruno Parmentier érige l’émotion en système optique. « J’attends d’une photo qu’elle m’émeuve, qu’elle me dérange, qu’elle m’interpelle », confie-t-il, définissant ainsi une éthique photographique qui transcende les écoles esthétiques. Son zoom 18-250 mm Pentax devient le prolongement mécanique de cette sensibilité à vif, instrument d’une chasse permanente aux « détails qui parlent » dans la nature ou les architectures humaines.

L’obsession thématique de la sensualité apparaît moins comme un sujet que comme un principe optique : recherche de contraste entre voilement et dévoilement, entre pulsion et retenue. Cette tension se matérialise dans ses compositions où la lumière caresse les formes sans jamais les soumettre.

Contrairement aux approches surplanifiées, Parmentier privilégie « l’improvisation » comme acte créateur pur. Lors de sa récente croisière documentaire, c’est en flânant sur les ponts du paquebot qu’il a saisi le paradoxe social entre luxe ostentatoire et promiscuité charnelle – cliché devenu emblématique de sa série.

Sa technique du trépied en faible luminosité (comme dans les monastères grecs qu’il s’apprête à explorer) révèle une philosophie paradoxale : stabiliser le cadre pour mieux libérer le contenu émotionnel. Le choix du Pentax K70 depuis cinq ans, appareil souvent snobé par les professionnels, souligne cette revendication d’une authenticité technologique au service du propos.

Bruno Parmentier transforme l’espace d’exposition en agora visuelle : « J’aime confronter le ressenti du public avec mon idée première ». Cette pratique dialogique fait de chaque accrochage une performance évolutive, où les œuvres se rechargent de sens au contact des interprétations populaires.

Sa sélection implacable de clichés – « aucun problème pour le choix » – cache en réalité une rigueur de laborantin : les images sont « repérées depuis plusieurs jours », mûries dans l’œil interne avant de rencontrer le regard externe.

La série « Paquebot… du luxe à la promiscuité » cristallise sa méthode. Les couloirs dorés capturés en contre-plongée deviennent des métaphores optiques de la société de consommation – surfaces miroitantes renvoyant le spectateur à sa propre complicité avec les illusions contemporaines.

Le traitement des corps en surpopulation solaire sur les ponts atteint une dimension quasi picturale : la chair humaine transformée en matière première d’une vanité moderne, où chaque silhouette devient pixel d’une fresque anthropologique.

Bruno Parmentier prépare une exposition itinérante sur « des vendanges et des hommes », promettant une archéologie visuelle des gestes ancestraux. Parallèlement, son travail sur l’histoire des lieux de la presqu’île d’Anneville annonce une convergence entre documentaire et mémoire collective – approche qui pourrait redéfinir les codes de la photographie patrimoniale.

Fidèle à Pentax depuis quinze ans, il incarne une résistance poétique à l’obsolescence programmée. Son zoom unique, bien que limité en luminosité, devient un manifeste contre le fétichisme matériel : preuve que la contrainte technique nourrit parfois la créativité mieux que la sophistication.

Bruno Parmentier dessine une pratique où chaque déclencheur constitue un acte de foi dans la puissance subversive de l’image. Son refus du flash – métaphore d’une illumination imposée – au profit de la lumière naturelle apprivoisée par le trépied, symbolise cette éthique du regard respectueux. Dans un monde saturé d’images éphémères, son travail rappelle que la photographie reste un langage premier pour interroger notre condition humaine – à condition de lui laisser le temps de révéler ses strates de sens.