Céline Déjardin incarne une photographe à la démarche aussi discrète que profonde, dont le travail questionne les frontières entre mémoire intime et regard universaliste. Son approche, dépourvue de prétention technique mais animée par une sensibilité aiguë aux détails du quotidien, révèle une artiste pour qui l’appareil photo devient prolongement du regard plutôt qu’outil de performance.
L’enfance de Céline Déjardin baigne dans une culture visuelle transmise par des figures clés : son oncle et sa tante immortalisaient leurs voyages avec des Polaroïd, tandis que sa grand-mère lui faisait découvrir des albums familiaux des années 1930. Ces expériences précoces installent chez elle une conscience aiguë du pouvoir évocateur de l’image fixe, capable de « garder des souvenirs d’instants vécus » selon ses propres mots.
L’adolescence marque un tournant avec la découverte du travail de Robert Doisneau, dont le célèbre Baiser de l’hôtel de ville ornait les murs de sa chambre. Cette influence humaniste se mêle à une curiosité contemporaine pour les photographes amateurs rencontrés sur les réseaux sociaux, créant un dialogue intergénérationnel qui caractérise sa pratique.
Son entrée dans l’association relève moins d’une ambition artistique que d’une volonté pragmatique de « mieux utiliser son appareil ». Cette démarche initialement technique évolue vers une immersion dans une communauté où le partage d’expériences et la convivialité deviennent moteurs créatifs. Paradoxalement, c’est cette humilité assumée qui la conduit à exposer, transformant l’opportunisme technique en démarche artistique collective.
Céline Déjardin rejette toute étiquette stylistique, revendiquant une photographie « fidèle à la réalité ». Son Canon EOS 250D, choisi pour sa légèreté et sa simplicité d’usage, devient l’instrument d’une quête d’authenticité où la maîtrise technique cède le pas à la réactivité. Ses clichés de « proxi » (proximité), réalisés avec une ouverture maximale pour compenser l’absence de matériel macro, illustrent cette philosophie du détournement créatif.
Pour la photographe, la qualité d’une image réside dans sa capacité à « parler au spectateur », qu’elle soit techniquement irréprochable ou au contraire marquée par le flou et le grain. Cette position dialectique s’incarne dans sa gestion des défis lumineux : « Comme je peux », répond-elle avec autodérision, transformant les contraintes en opportunités expressives.
La relation avec son fils, devenu professionnel de la photographie, cristallise cette tension entre héritage et renouvellement. Ce dernier, initialement formé par sa mère, devient à son tour source d’inspiration et de conseils, inversant les rôles dans un dialogue créatif continu.
Le processus de choix des photos exposées se heurte à un foisonnement d’idées (« Trop d’idées à vouloir mettre en œuvre »). Cette difficulté à trier révèle une pratique ancrée dans l’accumulation d’instants plus que dans la construction de séries thématiques.
Céline Déjardin accueille les retours du public avec une curiosité méthodique, cherchant à mesurer l’écart entre son intention créative et la perception des spectateurs. Cette posture, ni défensive ni complaisante, illustre sa conception de la photographie comme espace de dialogue visuel.
La pratique photographique a aiguisé chez Céline Déjardin une attention permanente aux « beautés fugaces » du quotidien. Son témoignage révèle un cerveau en état de veille créative permanent : « Je me dis souvent “ça ferait une belle photo” ». Cette hyperesthésie visuelle transforme la marche urbaine ou naturelle en chasse aux images potentielles.
Si elle reconnaît à la photographie un pouvoir narratif spécifique (« parfois mieux que les mots »), c’est pour mieux souligner leur complémentarité. Ses images cherchent moins à illustrer qu’à ouvrir des brèches interprétatives, dans la lignée de sa référence à Doisneau.
Ce portrait de Céline Déjardin dessine les contours d’une photographe anti-héroïque, pour qui l’appareil constitue un carnet de bord existentiel plutôt qu’un outil de glorification artistique. Son œuvre, tissée de petits riens soigneusement collectés, interroge avec subtilité notre rapport au temps, à la mémoire et à la beauté ordinaire.