Au cœur des paysages normands, Ghislaine Houx incarne une photographie sans filtre, où l’intuition prime sur les dogmes techniques. Son parcours, marqué par une relation organique à l’image, révèle une approche singulière du médium, entre documentation sensorielle et quête de l’évanescent.
C’est à 20 ans, face aux cimes de la chaîne de Belledonne dominant Meylan, que Ghislaine Houx éprouve l’urgence de fixer le réel. Armée d’un compact rudimentaire, elle « mitraille » ces sommets alpins, ignorant encore que cet acte pulsionnel dessinerait les contours d’une philosophie : « figer les couleurs du temps qui passe et la beauté de la Création en mouvement ». Cette initiation sans protocole préfigure une méthode de travail ancrée dans l’immédiateté, où l’appareil devient prolongement sensitif plutôt qu’outil de maîtrise.
Sa référence à Robert Doisneau éclaire cette posture : comme le maître humaniste, elle cultive « la façon de faire ressentir ces moments de vie d’inconnus », privilégiant l’empathie visuelle à la spectacularisation. Pourtant, contrairement à son modèle, Ghislaine Houx revendique une absence de style défini, préférant se laisser « porter par l’engouement de l’association Objectif Declic » comme espace de fertilisation collective.
Le matériel de Ghislaine Houx – Canon 1000D, objectifs 18-55 mm et 75-300 mm – témoigne d’un rapport dialectique à la technique. Si elle aspire à évoluer vers des équipements plus performants, ses images actuelles naissent d’une « bidouille » assumée, transformant les limitations en leviers créatifs. Cette économie de moyens structure une esthétique du hasard contrôlé, où le cadrage devient « thème récurrent et obsession visuelle ».
Ses séries sur le trois-mâts Le Marité (hommage à son aïeul capitaine terre-neuvier) révèlent une archéologie du geste. Isolée à bord lors d’une escale aux îles Chausey, elle capte les cordages dans une chorégraphie géométrique, privilégiant les compositions où « l’instantanéité rencontre la permanence des structures navales ». La photo dont elle est la plus fière, saturée de ces entrelacs cordés, cristallise cette tension entre éphémère et pérenne.
Rituel paradoxal que celui de Ghislaine Houx : « une grande inspiration/expiration pour se déstresser » précède chaque session, comme si l’acte photographique nécessitait d’abord une vidange mentale. Ce processus de disponibilité psychique alimente une pratique où « l’improvisation devient méthode », particulièrement dans ses portraits furtifs au téléobjectif, saisis à la sauvette lors de réunions familiales.
Son projet de photographier la fête de Holi en Inde (ou sa version parisienne au Jardin d’Acclimatation) dessine une nouvelle frontière conceptuelle. Derrière l’attrait chromatique se profile une quête des « instants de métamorphose », où les corps en mouvement dialoguent avec les pigments dans une alchimie éphémère. Ce désir de capter « l’inachèvement perpétuel » du réel rappelle les travaux de Raghubir Singh sur la couleur comme expérience temporelle.
Première exposition, premier vertige. Ghislaine Houx avoue sa difficulté à « trier ses images ratées », chacune portant selon elle une charge affective irréductible. Ce rapport non élitiste à la production visuelle interroge la notion d’œuvre aboutie, qu’elle redéfinit comme « ce qui accroche le regard, parle, et résiste au désengagement ».
Le choix du titre Le Marité pour sa série navigue entre hommage familial et manifeste : comme ce voilier-école, sa photographie se veut espace de transmission et de perpétuel réajustement. Son interaction avec le public lors des expositions devient « processus correctif », laboratoire où s’éprouve la porosité entre intention artistique et réception critique.
« Marcher à l’instinct » : ce credo pourrait résumer l’approche de Ghislaine Houx, si elle ne s’appliquait surtout à déjouer les catégorisations. Sa pratique incarne une photographie processuelle, où l’erreur devient moteur et où l’apprentissage technique se subordonne au développement sensoriel.
Cette quête trouve son aboutissement métaphorique dans son projet finistérien : photographier « le jour de Holi », ultime paradoxe d’un instant à la fois explosivement bref et infiniment reproductible. Dans cette tension entre fixité et fluidité, entre contrôle et lâcher-prise, se dessine peut-être l’essence d’une œuvre en devenir : l’art d’habiter les interstices du visible.