Dans l’écosystème photographique normand, un nom émerge avec la discrétion d’un héron guettant sa proie : Hervé Auregan. Ce septuagénaire au regard d’écorché vitré incarne une paradoxale quintessence de l’artisan-photographe, tissant depuis cinq décennies une œuvre où le hasard objectif le dispute à l’obsession du surgissement.

L’ADN photographique d’Hervé Auregan plonge ses racines dans les marais du Cotentin des années 1970. À l’âge où d’autres collectionnent les posters de rockeurs, le jeune Hervé arpente les zones humides, son Praktica équipé d’un 400 mm f/8 braqué sur les passereaux. « Les résultats étaient décevants techniquement, mais ces errances m’ont appris à voir », confie-t-il, évoquant ses premières tentatives de figer des bergeronnettes.

Cette période fondatrice forge sa grammaire visuelle : une approche contemplative où l’immobilité du photographe devient condition sine qua non de l’apparition. Paradoxalement, c’est dans le cercle familial qu’Hervé Auregan affine son art du déclic furtif. « J’ai appris à saisir les moments où mes proches oubliaient l’appareil », révèle-t-il, dévoilant l’origine de sa technique du rapt émotionnel.

La crise sanitaire marque un tournant dans sa pratique. Confiné dans son éden normand, Auregan entame une étude quasi entomologique des grenouilles vertes peuplant sa mare. « Pendant des heures, j’observais leurs chorégraphies aquatiques », se remémore-t-il. De cette veille patiente naît sa série phare « Regards de grenouilles vertes », titre qui dit autant son sujet que sa philosophie : capter la réciprocité du regard entre l’homme et le vivant.

Hervé Auregan défend une vision anti-techniciste de la pratique. « Je préfère une photo qui raconte quelque chose qu’une image hyper nette mais vide », assène-t-il, rejetant le fétichisme de la perfection optique. Son matériel – un 24-105 mm pour l’humain et un 300 mm pour l’animalier – témoigne de ce refus du gadget technologique au profit de l’essentiel.

Sa méthode relève de la chasse photographique à l’ancienne : repérage des lumières, immersion prolongée dans le biotope, attente du « moment où l’environnement devient complice ». Une approche qu’il compare à « un dialogue silencieux avec le paysage ».

Pour Hervé Auregan, chaque photo constitue un acte philosophique. « La photographie, c’est l’art de voler des fragments d’éternité à l’écoulement temporel », théorise-t-il. Son credo ? L’instant bref comme « unique trace tangible de notre passage ». Cette métaphysique du transitoire explique son attrait pour les sociétés en symbiose avec la nature, qu’il rêve de documenter dans des « zones préservées de la modernité ».

Ce contemplatif actif prépare une nouvelle série sur les interactions homme-nature, poursuivant son exploration des frontières poreuses entre observation scientifique et poésie visuelle. Son œuvre, à mi-chemin entre le journal naturaliste et le carnet intime, interroge notre capacité à voir vraiment – défi plus urgent que jamais à l’ère de la sursollicitation visuelle.